mardi 29 mai 2012

Le jour où j'ai décidé d'entamer une psychothérapie


J’ai lutté longtemps contre l’idée. Ce fut une démarche intellectuellement et émotionnellement longue et laborieuse. Probablement la plus difficile des décisions que j’ai eu à prendre dans les 36 années qui font mon existence. Une longue valse avec moi-même, faite de pas en avant et du double en arrière.
Mais elle m’est finalement apparue comme une nécessité ; comme si j’étais au pied d’un mur avec aucune autre alternative que de le franchir.
Le mot « thérapie » me faisait peur, sanction inévitable d’une situation laissée dormante pendant des années, années passées à faire l’autruche et à courir partout sauf dans la bonne direction. J’arrivais jusqu’à présent à me convaincre que seule ma volonté me permettrait de me sortir de ce profond mal-être m’habitant en permanence.
En réalité,  pendant des années j’ai fui. Emotionnellement d’abord, en refusant de me laisser approcher de trop près par les personnes paradoxalement les plus proches de moi. Mes parents, aussi bien ma mère, que mon père et ma belle- mère, et moi  fonctionnions sur un mode de communication essentiellement contrôlé par moi, en ce que je ne leur disais que très peu sur ma vie afin de ne pas avoir à affronter leur jugement sur mes choix de vie.  Cela a très bien fonctionné également avec mes frères et sœurs. Quand confrontée à une situation difficile à digérer, plutôt que de l’exprimer, je fuyais, physiquement  aussi, en me ré-inventant une vie  à l’autre bout du monde, et émotionnellement par un quasi systématique refus de rentrer dans cette tribu avec ses bons et mauvais moments.
Combien de fois ai-je entendu mon père me dire « on ne t’entend jamais »  et combien de fois ai-je levé les yeux au ciel en entendant cette phrase, la balayant d’un revers de main qui voulait  dire « fichez moi la paix, je suis bien là dans mon coin toute seule, au moins pas de contrariétés »
Je me suis lancée à corps perdu dans ma carrière sans me préoccuper de ma vie personnelle. Etre en couple ? bah, je suis parfaitement bien toute seule.
C’est uniquement quand ma situation professionnelle a volé en éclats que ma petite bulle confortable a percé et je me suis retrouvée à l’open, vulnérable,  complètement  perdue  et surtout, c’est à ce moment- là que je me suis aperçue qu’être seule quand tout un pan de votre vie s’effondre rend les choses encore plus difficiles à gérer.
Et je me suis retrouvée là,  dans une impasse, sans solution. Seule, et devant admettre que je ne pourrais plus avancer comme je l’avais fait jusqu’à présent, en ne comptant que sur moi- même ; ce système si bien rodé, ne fonctionnait plus.
Comme pour mon  médecin à qui je confie mon  bien le plus précieux, la prochaine étape de ma décision fut de savoir à qui j’allais m’adresser. Et qu’est- ce que j’y connais moi en psychothérapie?
J’ai alors réalisé que la solution était sous mon nez depuis des mois. La première chose que j’ai vu en emménageant dans mon appartement, était une plaque indiquant un cabinet de psychothérapeutes.  Information rangée très vite dans une case de mon cerveau. Ils auraient pu être dentistes ou dermatologues, en tous cas, la connexion ne s’est pas faite ce jour-là. C’est un soir, plus d’un an plus tard, en rentrant dans l’immeuble comme je le l’avais fait un milliard de fois que la dite plaque a attiré mon attention.
Quelques semaines plus tard, c’est ironiquement  la personne qui est la raison de mon explosion en vol professionnelle qui, en passant devant l’immeuble me dit «  tu habites là ? Cette psychothérapeute est excellente » (de réputation, elles ne se connaissent pas)  Je lui réponds par un simple « mouais » qui voulait dire « t’occupes, quand j’aurais besoin de ton avis, je te le laisserais savoir »
Seulement voilà, l’idée me trottait déjà dans la tête depuis un petit moment, depuis son arrivée en fait, quand j’ai perçu en elle un ennemi dont je ne me déferais pas si facilement. Dès son arrivée, elle a mis le doigt non seulement sur mes qualités et défauts professionnels (c’est son boulot) mais elle m’a surtout attaquée sur ma personnalité. Et je n’ai jamais autorisé personne à aller sur ce terrain- là. Bien que je ne sois pas en mesure de lui accorder ce crédit car c’est elle qui a ré ouvert la plaie, force est de constater, qu’en me poussant dans mes retranchements, elle m’a permis de réaliser qu’il fallait absolument agir avant de finir dans le mur.
Bref.
Décision prise+ thérapeute localisée =  Solution facile.
Sauf que non. 
Déjà, sa discipline de spécialité, la Gestalt thérapie, est inconnue au bataillon.  Fidèle à mes habitudes didactiques, j’engrange un maximum d’informations théoriques sur le sujet et découvre qu’il s’agit d’une «  thérapie qui a pour objet de rendre un individu conscient de ses contradictions afin de pouvoir les réduire » (impeccable !) et que « Les Gestalt-thérapeutes, qui pratiquent soit en individuel soit en groupe, interviennent dans le processus mais ne sont jamais directifs. » (encore mieux !)  
Il se passera encore un mois avant que je ne me décide à l’appeler et deux très longues semaines d’appréhension avant notre premier face à face. J’ai envie d’annuler plusieurs fois.  Mais pour une raison qui m’échappe encore, ne le fais pas.  
Décider de faire une psychothérapie a un côté assez paradoxal. A la fois on se sent méfiant  et désarmé  face à cet inconnu qu’est le thérapeute mais néanmoins on lui apporte sur un plateau une confiance quasi sans faille en lui révélant tout ce que nous avons bien caché jusqu’à présent (et dans mon cas sous triple verrous).  Intellectuellement j’ai du mal à l’intégrer. Moi qui ai passé ma vie à me protéger d’éventuelles blessures,  me voilà lui donnant les armes et l’opportunité,  lui fournissant tout ce dont elle a besoin pour m’achever.  Je lui abandonne le contrôle de la situation en la laissant me guider dans les méandres de mon existence.  La raison me dit qu’elle n’a aucun intérêt à s’en servir pour me faire du mal, mais à ce moment- là, je ne fais que découvrir cette nouvelle personne et ne sais pas quoi attendre de cette nouvelle situation.  

Les premières séances sont un véritable pensum. Je ne sais pas quoi lui dire, et pourtant je ne cesse de parler. De tout, comme ça, en vrac. Et je regrette déjà !  Mon esprit s’égare (ou fui volontairement)  et je me demande comment elle fait pour ne pas s’ennuyer à écouter toute la journée les problèmes existentiels de ses patients.  Je sens qu’elle m’observe et je n’aime pas ça. Je suis particulièrement attentive à mon corps  dont je ne sais que faire, et  surtout à mes mains, ces deux traitres qui font que je suis vite démasquée. A ce moment-là, ma petite voix me dit  « c’est malin, regarde dans quel guêpier tu t’es fourrée »
Malgré cela, paradoxalement, je ne me sens pas particulièrement en danger. Elle dégage une  douceur et une bienveillance évidentes,  et surtout, elle sourit tout le temps. Elle a l'air si sereine, ça m'épate. 
Mon cerveau est là pour me rappeler que le but de la manœuvre est de lever tous ces freins, et ce,  même si certaines étapes seraient plus difficiles que d’autres et que si j’avais eu  du mal à prendre la décision initiale de suivre une thérapie , il me faudrait aller au bout, sinon avoir fait une telle démarche  n’aurait rimé à rien.
Tiens, revoilà le super tandem cœur versus raison….  Ce duo de choc qui me tourmente en permanence.
Il y a quelques temps, au sortir d’une séance qui de premier abord ne semblait pas plus éprouvante qu’une autre, je me suis à nouveau sentie tiraillée entre les deux. Tout mon système d’alarme s’est mis en route comme si il me disait « attention, intrusion dans la zone ultra sécurisée ».  Il s’est avéré, mais ça je ne l’ai su qu’après,  que nous avions abordé un sujet particulièrement sensible.
Je me suis demandé ensuite si cela ne voulait pas dire tout simplement que le travail que nous faisons toutes les deux  fonctionne. Suis-je de ce fait rassurée ? Non, j’ai toujours cette envie de me sauver en courant !  
Et puis il y a  les silences. Dans ces moments-là, qui, j’imagine lui servent beaucoup, je me sens traquée sans aucune porte de sortie.  Elle n’amorce pas la conversation et attend systématiquement que je parle. Je me sens alors obligée de dire quelque chose tellement ces silences sont angoissants. C’est d’ailleurs lors de ces silences que je me sens le plus vulnérable, alors que quand nous échangeons j’ai au moins l’illusion de détourner son attention sur autre chose que moi  (ce qui est totalement idiot quand on y réfléchi bien)
Je n’aime pas que l’on me remarque, et même si ce regard particulier est sans jugement, je le trouve aussi pesant que les autres. La plupart du temps, dans le quotidien, je n’ai pas à le confronter puisque je passe mon temps à m’inquiéter du sort des autres.  J’écoute, je conseille et je ne raconte quasiment pas ma vie. Certaines de mes proches amies me l’ont déjà reproché d’ailleurs quand elles perçoivent une certaine tristesse ou un moment de stress chez moi. « Toi, t’es une vraie tombe » ou «  t’es chiante, tu nous dis jamais rien »  et je ne compte pas le nombre de fois où je leur ai répété « non, mais arrêtez, je vais parfaitement bien ! »  Leur refusant au passage le droit de jouer leur rôle.
Je suis envahie par une grande culpabilité depuis le début de ma thérapie. Et si cette façon d’écouter mes amies me déverser leurs soucis  n’était finalement pas de l’empathie mais simplement une façon d’éviter de me pencher sur les miens ?
Maintenant que cela fait quelques mois que toutes les semaines ou presque je raconte à une parfaite inconnue ce que je suis incapable de raconter à mes proches, je commence à percevoir les bienfaits de cette thérapie. L’envie de fuir m’arrive encore, mais moins souvent.
Et puis, alors qu’au fur et à mesure les semaines passent, je suis moins  angoissée à l’idée d’aller à ces séances, je me suis enfin rendue compte, que oui, sortir tout ce qui m’ encombre, de situations anodines ayant eu cours dans mon enfance et qui  pour une raison X ou Y m’ont contrariée outre mesure, à de plus sérieuses, comme la perte prématurée de ma mère,  apprendre à accepter d’exprimer ces émotions si dures à affronter,   tout cela me permet finalement de retrouver gout à la vie. Jusqu’à présent, je me contentais d’exister, de fonctionner, et là je commence à vivre. Il m’a toujours été conseillé de lâcher prise ; c’est vrai, ça détend. Même si cela reste un exercice difficile, avec ses hauts et ses bas, avec des jours où je me dis « j’ai pas envie d’y aller », je trouve ce travail intéressant et enrichissant.
Je commence à accepter que je ne suis pas seule du tout, qu’un réseau de soutien très solide est autour de  moi et pour la première fois depuis longtemps, j’ai l’impression qu’il y a de multiples options dans mon futur, comprenant enfin ce que voulait dire Walt Whitman quand il a écrit « Two roads diverged in a wood, and I, I took the one less traveled by, And that has made all the difference »
Même si nous en sommes au tout début  et que les bases ne sont pas encore très solides, j’ai la sensation que suivre cette thérapie, qu’elle dure des mois ou qu’elle s’arrête demain est certainement le plus beau cadeau que je me sois fait.

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